mardi 24 juin 2008

Assia Djebar répond à la question "Pourquoi écrire?"

Par Amel chaouati


Lundi 9 juin, Florence Noiville, critique littéraire, reçoit Assia Djebar au centre Pompidou dans le cadre d’un cycle littéraire intitulée « Ecrire, écrire pourquoi ? ».

Elle avait débuté par la lecture de quelques éléments biographiques. Lorsqu’elle a annoncé que l’écrivain est née à Cherchell (ce qu’on peut lire partout ailleurs), cette dernière a réagi en disant qu’elle n’est pas née à Cherchell mais en pleine montagne.

Elle continue alors sa description en invitant l’écrivain à l’interrompre pour rectifier si nécessaire. De manière étonnante, comme s’il n’était pas d’usage fréquent chez les écrivains, elle exprime sa surprise, car elle venait à peine de découvrir que Assia Djebar est son nom d’auteur.

La question vient alors : pourquoi écrire ?

Assia Djebar relate alors dans son oralité limpide de narratrice, le début de son écriture ; elle dira que les trois premiers romans ont été pour elle un travail d’écriture facile qui répondait à des conjonctures de vie personnelle et politique de l’époque 57-62. En 56 c’était sa première année à Sèvre, c’était aussi la grève des examens des étudiants algériens par solidarité avec la guerre d’Algérie. Participant à la grève, elle dira à son époux sur un ton de défi lors d'une discussion, qu’un roman superficiel peut être écrit en quelques jours. C’est ainsi qu’elle avait écrit son premier roman La soif en vingt jours.

Ensuite pour des raisons politiques, elle suivra le mari qui se rendait en Tunisie. Pendant cette période où elle avait rencontré Frantz Fanon, elle avait découvert la réalité des algériens dans les frontières tunisiennes. Elle avait été confrontée au paysans des Aurès ; c’est ainsi qu’elle avait commencé à connaître son peuple. Par conséquent, ce sont ces conjonctures politiques qui l'ont aménée à écrire le second roman Les impatients qui sera selon elle moins superficiel. Elle dira que ce qui est important pour ce roman c’est surtout le lieu où elle l’avait écrit. C’était dans un appartement d’un libraire parisien dans lequel on pouvait trouver des livres de grandes importances.

Concernant Les enfants du nouveau monde, le roman a été inspiré par une discussion avec sa belle-mère et sa mère au Maroc où l’écrivain vivait à ce moment. La belle-mère racontait le quotidien dans son quartier à Blida ainsi que la guerre vue à partir de son patio qui ouvrait sur les montagnes. C’est alors que l’écrivain lui est venu l’idée d’écrire le quotidien des femmes de chez elle.

Mais le quatrième roman Les alouettes naïves est sa véritable entrée en écriture. C’est le premier roman qu’elle a écrit en Algérie. C’était en 62 le début d’indépendance. Françoise Giroud l’avait envoyé réaliser un reportage pour le journal l’Express. Pendant cette période, l’écrivain dira qu’il y avait une ambiance extraordinaire dans une atmosphère collective teintée d’espoir.

Dans ce roman, elle avait fait le bilan de ce qu’elle avait vécu entre 56 et 67. Elle avait consacré quatre années à l’écrire et à travailler la structure du roman. Elle ajoute alors qu’en écriture « Au fur et à mesure que vous travaillez le sujet, c’est le squelette qui est important ».

Dans ce roman elle s’est confrontée pour la première fois à elle-même, alors qu’elle n’avait jamais eu l’intention de faire une écriture autobiographique.

Mais le grand événement qui a eu une influence majeure sur son écriture c’est son film documentaire « La nouba des femmes du mont Chenoua » qu’elle a réalisé dans la tribu de sa mère après avoir sillonné l’Algérie pour faire une étude sociologique auprès des femmes. Ce film fut une véritable expérience pendant laquelle les femmes qu’elle a rencontrées lui ont appris non seulement par la parole mais surtout par leurs différentes expressions faciales et gestuelles.

Ce film était un resourcement qui a influencé son écriture par la suite. De retour à Paris, elle avait écrit en langue française les images et les sons qu’elle avait emmagasinés. Elle avait gardé toute la source orale et le rythme ainsi que le rapport affectif à ces femmes. Elle avait été adoptée par elles étant donné qu’elle était la « fille de Bahia, descendante de deux saints ».

Voulant interroger l’écrivain, Florence Noiville dira non sans maladresse que contrairement aux autres femmes de chez elle, l’écrivain a reçu une éducation; l’écrivain réagit aussitôt calmement en précisant que les femmes de chez elle, avaient eu une éducation, simplement elle était différente de l’éducation qu’elle avait reçu.

A ce moment elle lira un extrait du texte « assise sur le bord de la route, dans la poussière» .

L’écrivain, n’a de cesse de faire allusion à quelques vécus de sa vie personnelle non sans une certaine amertume.

Durant la discussion elle dira aussi combien la critique littéraire en France est fermée et sélective.

Avant de clore l’entretien, elle lira un second extrait du roman La disparition de la langue française. Elle dira que dans ce roman, elle a décrit une relation amoureuse qu’elle n’avait pas pu se permettre d’écrire auparavant, avec quelque marque d’audace en raison du moralisme de sa société dont elle ne pouvait se détacher.

Lorsque la parole est ouverte au public, l’écrivain répondait calmement et avec une certaine prudence. Une question sur la francophonie, une autre sur la légitimité pour l’Algérie de revendiquer la langue arabe après l’indépendance, puis vient la question sur l’Académie française.

A la question : est-ce que l’écriture est un butin de guerre ? Elle répondra que la langue française n’est pas un butin de guerre; elle dira que Kateb Yacine avait vécu les événements différemment. Il avait vu les événements du 8 mai 45. Son père avait été oukil judiciaire.

J’ai voulu l’interroger sur sa propre écriture et je lui ai alors demandé si le roman Nulle part dans la maison de mon père annonce une nouvelle étape dans son écriture. Assia Djebar dira comme à la Sorbonne quelques jours auparavant, qu’elle souhaitait ne pas parler du dernier roman car c’est encore douloureux. Elle dira alors comme si elle se parlait à elle-même que la confession ne fait pas partie de la tradition musulmane. Avec cette parole, me revient alors le titre « La confession, genre littéraire » de maria Zambrano. Par cette observation, elle donne aux lecteurs une indication très précieuse et qui expliquerait la raison de cette douleur persistante réveillée par ce roman.

Finalement, elle accepte qu’on l’interroge afin de se rassurer d’avoir bien fait d’écrire ce roman qui lui rappelle les romans du dix neuvième siècle, où rien ne se passe, dit-elle.

Une lectrice dans le public prend la parole pour dire qu’à travers une histoire personnelle , le roman retrace l’histoire de toute une génération qu’il était important d’écrire pour témoigner de cette période. Elle ajoutera que ce livre a tardé à venir.

A la sortie de la salle, je me sentais étrangement déçue car, depuis que j’écoute Assia Djebar dans différents espaces (tv, radio, conférence), des questions répétitives, souvent orientées sans lien avec son écriture, reviennent sans cesse au point que l’écrivain a du mérite pour répondre toujours avec entrain.

Je me suis laissée imaginer les questions qu'un public et critique non français et non algérien pourrait poser à Assia Djebar, car tout de même son écriture est en permanence à la recherche de transformation. Pourquoi alors ces questions qui reviennent en boucle et barrent toute possibilité d’avancer dans la réflexion?


Pontoise
22/06/08

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Il faut dire qu'il n'est pas toujours évident de prendre de la distance par rapport au contexte de production et de reception d'un écrivain lorsqu'il s'agit de poser des questions. Cela devient encors plus difficle lorsqu'il s'agit d'une écrivaine avec le parcours et l'expérience d'Assia Djebar. Mais je suis tout à fait d'accord, parfois à force de se centrer sur l'auteur et sa vie on fini par oublier les oeuvres!!!
Merci beaucoup pour ce compte-rendu et pour tout le travail que vous faite sur ce blogue.
Bonne continuation